« J’ai pas changé de bord », ces quelques mots qui constituent le titre du film de Christian Blanchet ne sont pas assenés, ils ne sont pas formulés avec violence, mais ils disent avec calme, et même un certain détachement par rapport aux passions qui animent souvent la question politique, l’état d’une réflexion à l’issue d’un cheminement qui nous conduit de la défaite de Ségolène Royal à la victoire de François Hollande. La parole est laissée aux habitants d’une ville de province, aux amis d’enfance et aux proches du réalisateur qui nous disent ce qu’ils pensent des femmes et des hommes politiques. Ils expriment leurs aspirations généreuses mais aussi leur petitesse, leurs a priori. « J’ai pas changé de bord » est un cheminement de cinq ans dans la politique perçue au quotidien et dans le quotidien des habitants d’Avranches. C’est surtout l’autopsie de la politique menée par une classe politique (droite et « gauche » sociale (?) libérale) usée jusqu’à la corde. Le résultat de cette politique, c’est le désenchantement, le développement des inégalités, l’égoïsme et la concurrence préférés au partage et à la solidarité, et surtout en toile de fond, la montée d’une extrême droite qui n’est plus tapie dans l’ombre mais se montre désormais au grand jour. « J’ai pas changé de bord », cela veut dire : « Je ne suis pas du bord de cette classe politique qui voit, droite et socialistes confondus, enchaîner scandale sur scandale tout en poursuivant à tour de rôle une politique d’austérité préjudiciable au plus grand nombre ». « J’ai pas changé de bord » est un signe de résistance calme mais déterminé. C’est un signe que le combat continue pour faire changer la société. Car finalement, c’est la société, le monde qui doit changer de bord.
Je ne suis pas un grand spécialiste du cinéma, ni même un petit spécialiste, mais si je devais évoquer un film qui m’est revenu à l’esprit après avoir vu le film de Christian je citerais « Les hommes le dimanche », un film muet de Robert Siodmak réalisé en 1929. Dans ce film, on y voit la vie de la capitale allemande avant l’arrivée au pouvoir des nazis. « Les hommes le dimanche » est un témoignage du quotidien des berlinois de la fin des années 30, de leur aspiration à s’échapper de leur semaine de travail aliénante pour retrouver l’insouciance du dimanche. « J’ai pas changé de bord » met plutôt en évidence un renoncement, un découragement, une usure des gens, plus qu’une insouciance. Mais insouciance et résignation peuvent avoir des conséquences tout aussi dramatiques. « J’ai pas changé de bord » nous aide à être un peu moins insouciant et un peu moins résigné. Rien que pour cela, je te dis un grand merci Christian.
Patrick Saurin
Syndicaliste à Sud BPCE