Ce texte a été publié sur le site du cinéma Eldorado (21 rue Alfred de Musset – 21000 Dijon)
Saluons la programmation exigeante de son directeur, Matthias Chouquer.
Si vous croisez votre député, votre ministre ou votre sénateur (on ne sait jamais), dîtes-lui d’aller voir ce film. Il percevra soudain l’incroyable fossé qui sépare les gens de leurs soi-disant représentants… Le constat est unanime : le seul espace de large expression démocratique que sont les élections se voit de plus en plus abandonné. La question qui vient naturellement sur les lèvres aujourd’hui n’est pas « pourquoi ne vote-t-on plus ? » mais bien plutôt « pourquoi certains continuent-t-ils à voter ? ». Voilà le paradoxe que Christian Blanchet a choisi de filmer, avec autant de légèreté que d’inquiétude… Lors des élections présidentielles de 2007 et 2012, Blanchet est retourné dans sa commune d’enfance, Avranches, petite ville côtière entre Saint-Malo et Caen, tout près du Mont-Saint-Michel. Il se balade dans les rues, interroge les habitants qui parfois sont de vieux copains. Et, chose très importante vous verrez, il décide de filmer dans l’entreprise familiale, dirigée par sa nièce, où se mêlent paroles d’ouvriers et de cadres… Toute une sociologie haute en couleur.
Point par coquetterie, le cinéaste apparaît aussi à l’écran, se mettant lui-même en scène, histoire d’affirmer un parti-pris de subjectivité, mais aussi d’interroger le film en train de se faire… Et nous le voyons douter, ce personnage-cinéaste, en plein milieu de son propre film, comme un M. Hulot hébété face au désenchantement des gens, et se demandant ce que peut bien y faire le cinéma… Car il y a cette question qui est très présente aussi dans le film, comme la doublure l’est d’un veston : l’utopie d’un cinéma qui changerait le monde étant enterrée depuis belle lurette, que lui reste-t-il ? La réponse est sans doute dans l’exergue du film, cette magnifique séquence d’Ordet de Dreyer, « Malheur à vous pour votre manque de foi ». Au-delà des portraits des habitants qui sont de toute beauté, l’invention de ce personnage-cinéaste donne au film une dimension symbolique qui confine à la comédie. Ce dont il souffre ce personnage, c’est de l’impossibilité de lier la générosité individuelle à une démarche plus collective. Et pourtant, il veut continuer d’y croire, même ridiculement, à ce passage entre idéal et pratique. Blanchet porte en lui un ré-enchantement du monde, par obstination.